Tu continuais à les écouter parler, lasse. Tu n’en pouvais plus, de toute la gêne dont tes camarades transpiraient. Wai, puis Nausicaa, décrivirent leurs pouvoirs à leur tour ; la première avait un pouvoir bien intéressant tandis que la seconde avait un pouvoir tellement offensif que tu ne parvenais pas à lui trouver une véritable fonction. Oh, bien sûr, si elle avait un jour besoin de détruire une armée… Mais tu n’avais pas besoin de quelqu’un qui soit capable de détruire une armée. Quel était son intérêt si toi, tu n’y trouvais aucune utilité ? Ce n’était pas dramatique, bien sûr, mais c’était cela ; tu ne parvenais pas à trouver une valeur à cette fille. Beaucoup trop stressée, avec un pouvoir qui ne t’apporterait pas grand-chose. Bien sûr, ne pas s’attirer ses foudres serait tout de même mieux, mais elle ne valait pas la peine de se préoccuper de rechercher son amitié. Wai, par contre… Cette fille t’intriguait, quelque part. Pas incroyablement non plus, il fallait l’admettre, mais elle n’était pas pleinement humaine – un cyborg ? - et son pouvoir pourrait certainement se révéler intéressant si utilisé pour faire autre chose que faire des blagues à ses proches.
Morgan, elle… Elle avait des secrets, c’était évident, et tu voulais en apprendre plus sur elle. La découvrir. Mettre à nu ses secrets, la mettre à terre pour la détruire. C’était tout ce qu’elle t’inspirait, cette fille. Un instinct destructeur et un certain dégoût. Rien de plus.

Nausicaa, qui avait passé bien trop de temps à chercher ses mots – sa gêne était tellement palpable… -, finit par se rendre compte que l’heure de manger approchait. Tu réprimas un soupir. Ce premier repas allait être un moment gênant ; personne ne se connaissait, personne ne savait comment se comporter avec les autres. Prenez cette discussion et ajoutez-y onze autres personnes et vous aurez le déroulement du repas.
Morgan décida d’emboîter le pas à Nausicaa. Très bien, si ça leur chantait. Toi, tu allais attendre un peu.
D’accord ! leur lanças-tu donc avec un léger sourire – elles étaient déjà en train de partir, pourtant, elles ne te verraient même pas. Moi, je vais continuer à ranger mes affaires encore un peu, je vous rejoindrai plus tard.

Nausicaa finit par répondre à sa propre question ; son pouvoir est donc les météorites. Ah. Particulier, ouais, comme elle dit. Après, je peux toujours parler – je peux donner des cauchemars aux gens, je suis sûre que c’est suffisant pour me considérer comme « particulière », mais les météorites, c’est tellement simple et direct, ça surprend quoi. Mais ça doit être classe. Elle est cool. Même si elle est manifestement aussi gênée que moi.
Elle paraît vouloir dire un truc, chercher ses mots peut-être ? Elle regarde sa montre, et nous signale que l’heure du déjeuner arrive. Elle part sans attendre nos avis. Okay, c’est vexant, mais en même temps je comprends. L’ambiance est pourrie, ici, et sauter sur la première excuse pour partir était tout à fait compréhensible. Courage Nausicaa.
Morgan se lève à son tour. Elle veut aller manger aussi, hein ? Donc déjà deux à partir. Mais moi j’ai pas faiiiiim. En même temps, je suis un cyborg. J’ai pas besoin de manger. Donc je n’ai jamais faim. Et puis de toute façon, je ne peux pas vraiment manger. Je pourrais rester assise à table et faire semblant pour sociabiliser mais vu l’échec critique de cette première rencontre, je ne suis pas d’humeur…
Abigail me coupe dans mes réflexions en signalant qu’elle ira manger un peu plus tard, qu’elle veut continuer à ranger. Immédiatement, mon attention se reporte sur la jeune fille. Elle est vraiment magnifique. Et charismatique. Et… confiante. Oh, et si je restais avec elle, tout simplement ? Faire connaissance avec elle ? Certes, elle a l’air en décalage, d’une certaine manière, mais nous le sommes tous, ici, et elle n’a pas l’air dangereuse. Même si son pouvoir l’est certainement.
Peu importe.
Je vais rester un peu aussi, je pense. Bon appétit !

Morgan fut la première à réagir à mon affirmation, se levant puis me signalant par où était le réfectoire. Elle avait l’air de venir manger aussi ? C’était rassurant. Même si je ne la connaissais que très peu, j’étais déjà plus proche d’elle que de la majorité des gens ici. Après, nous n’étions pas nombreux. Nous étions quinze, nous nous connaîtrions rapidement tous, mais se raccrocher à sa première rencontre restait rassurant.
Et puis j’avais envie d’apprendre à connaître Morgan. Mon impression de l’avoir dérangée tout à l’heure ne disparaissait pas, mais je me sentais tout de même mieux. Si elle me suivait, c’était peut-être signe qu’elle acceptait mon existence ou quelque chose comme ça. Et voilà, je sais pas, peut-être que c’était juste parce que je la trouvais belle, mais je voulais la connaître. Puis même si c’était un argument de merde, c’était un objectif très bien – sauf si elle n’était pas d’accord – et tout se passerait comme il le faudrait.
Les deux autres décidèrent de rester encore un peu. Si elles le voulaient. J’avais Morgan héhé. Je continuai donc sur ma lancée – espérant que je n’avais pas surinterprété l’intervention de ma camarade et qu’elle avait bien l’intention de me suivre. Je n’avais pas pris le temps de dire au revoir aux deux autres, mais je ne me sentais pas de revenir en arrière. On s’en foutait, de toute façon.
Merci pour l’info, Morgan, ajoutai-je à l’intention de cette dernière, lui lançant un léger sourire.

Les autres filles de la chambre nous répondent qu'elles nous rejoindraient plus tard pendant que Nausicaa et moi commencions à nous éloigner du dortoir. Je tourne brièvement la tête et fais un hochement de tête pour leur signe que j'avais compris, et je reprends ma lancée à côté de Nausicaa, qui marche plus vite que moi sans doute parce qu'elle est plus grande que moi donc elle a de plus grandes jambes et qu'elle est bien plus déterminée que moi dans sa marche. Et je n'ai pas besoin de tergiverser dessus parce que ce n'est pas important du tout. Nous marchons sans rien se dire, à cause de mes légendaires capacités sociales qui me font m'enfermer dans un mutisme total alors que c'est clairement à mon tour de dire quelque chose vu qu'elle m'a répondu très clairement il y a quelques instants. Nous descendons les escaliers et arrivons au rez-de-chaussée, j'indique à ma camarade la route à suivre et montrant faiblement de la main où aller et en me maudissant intérieurement car je suis toujours incapable de sortir quelque chose de ma bouche. Au moins en faisant ça j'essaie de lui sourire. Un peu, faiblement, très faiblement, en réalité cela doit être sans doute imperceptible de son point de vue.
Nous arrivons dans les premiers au réfectoire. Il n'y avait quasiment personne. En même temps, dans un établissement de quinze étudiant-e-s je ne dois pas m'attendre à une foule immense. Je laisse Nausicaa passer devant moi et se servir la première par politesse et car c'est elle qui a a voulu venir ici, et après avoir choisi nos plats (et je suis ravie de constater qu'on propose des plats vegan) nous nous installons à une table au fond de la salle. Je n'aime pas ça. Je vais devoir parler. Parce que c'est que comme ça que j'arriverais à me faire des ami-e-s ici, et je veux que Nausicaa fasse partie de ces gens-là parce qu'elle m'a l'air sympathique alors pourquoi pas je suppose ? Je regroupe mes pensées, j'essaie de trouver un sujet que je pourrais aborder. On avait abordé l'histoire des lits et de nos pouvoirs tout à l'heure.
Du coup, t'es venue ici pour ton pouvoir je suppose, non ? Je suis sûre que ça pourrait intéresser la NASA et tout !Je marque une pause et à part que mon début de conversation est affreux et que je me suis trop focalisée sur son pouvoir pour dire une connerie comme quoi cette histoire de faire tomber des météorites et de pouvoir en général serait sympa pour des organisations privées (ou publiques) alors que clairement non mdr et que je le sais très bien ça, j'ajoute avec en levant les yeux au ciel et en fronçant les sourcils : Non, c'est pas si cool que ça de se faire approcher par des organisations pareilles pour faire des trucs louches, en fait. Ceci dit, faire confiance aveuglément au système University... Je marque une autre pause car je viens penser à quelque chose de presque drôle et je dis avec un mauvais sourire : J'espère qu'Elon Musk n'apprendra jamais notre existence.

Nous nous dirigeâmes donc toutes deux vers le réfectoire, en silence. Je trouvais ce genre de silence vraiment stressants, à la fois durs à supporter et impossibles à briser à cause de ma peur de gêner l’autre, ne sachant pas si iel est à l’aise avec et donc s’iel serait dérangé.e par mon interruption. Je tentais tout de même de me rassurer, car après tout il s’agissait de la rentrée, d’une période qui ne mettait pas grand-monde à l’aise, et je pouvais donc espérer que Morgan ne me tienne pas rigueur de mon manque de discussion durant ce trajet.
Nous parvînmes à trouver le réfectoire, même si je n’étais pas convaincue d’être d’une grande utilité ; ma camarade se chargeait de m’indiquer les directions, et la suivre était donc ma seule implication dans l’affaire. Le réfectoire était assez petit, même s’il correspondait sans doute au nombre d’élèves de l’établissement. J’avais plus l’impression d’être à une grande réunion de famille que dans une école – si on omettait le fait que ma famille était loin d’être assez bourgeoise pour se permettre d’organiser des réunions de famille dans un bâtiment de ce style. Ce nouveau cadre de vie me paraissait tellement éloigné de mes habitudes de vie.
Nous allâmes nous servir à manger. Je n’étais pas inspirée par grand-chose et me servis donc un peu au hasard. De toute manière, je n’avais pas très faim ; trop fatiguée pour penser à mon estomac, probablement. Morgan, quant à elle, faisait manifestement son choix parmi les plats vegan. Pourquoi pas. Nous nous dirigeâmes ensuite vers une table et je commençai à picorer ma nourriture, pendant que Morgan décidait de lancer la discussion. Wow. Morgan parlait.
Du coup, t'es venue ici pour ton pouvoir je suppose, non ? Je suis sûre que ça pourrait intéresser la NASA et tout ! Non, c'est pas si cool que ça de se faire approcher par des organisations pareilles pour faire des trucs louches, en fait.
Des réflexions sur mon pouvoir, eh ? Bah, si ça l’intéressait. De toute façon, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part était souvent des généralités quelque peu bancales. C’était dans l’ordre des choses, pour le meilleur et pour le pire. Après, sa réflexion était pertinente tout de même.
J'espère qu'Elon Musk n'apprendra jamais notre existence.
Sa phrase suivante m’acheva. Oui, j’étais à moitié en train de m’étouffer avec ma nourriture à cause de l’éclat de rire peu subtil qu’elle provoqua. Je ne m’attendais pas à voir des gens cracher sur Elon Musk ici, pour être honnête. En même temps, je ne m’attendais pas à grand-chose, il était plutôt difficile d’imaginer le profil des élèves d’un nouvel établissement comme celui-là. Quoi qu’il en soit, j’étais en train d’essayer d’éviter de mourir à cause d’une « blague » (est-ce que quelque chose de vrai mais drôle compte comme une blague ? Véritable question) sur Musk tout en me disant que wow, je voulais être amie avec Morgan. Elle était incroyable. Après au moins une bonne minute passée à espérer qu’elle ne me jugeait pas trop (mourir comme ça serait parfaitement ridicule), je parvins à articuler une réponse bien moins inspirée mais qui témoignait de mon respect pour elle.
Clairement ouais, ça serait une mauvaise idée. Pas envie de causer la fin du monde parce qu’un mec de droite m’utilise.

Ah, oups. Nausica a failli s'étouffer sur ce que j'ai dit (apparemment c'était donc drôle, je note), mon sourire s'élargit davantage, et après un temps pour reprendre un peu ses esprit elle me répondit. Et elle dit qu'elle avait davantage peur de Musk parce que c'était un "mec de droite". En même temps, quand on est bourgeois et qu'on veut défendre ses intérêts de classe, consciemment ou non, on est de droite. Je décide de ne pas lui dire cela. Car cela ne sert à rien et cela fait plus rabâchage qu'autre chose, et aussi parce qu'elle le sait sans doute très bien, sinon elle m'aurait répondu un truc plus vague type "il est riche et mégalo" ; ce qui est vrai, mais je préfère la dénomination "de droite" qui est bien plus franche, parce que quand tu es riche et mégalomane, il y a 99% de chances qu'en plus d'être un gros connard, tu sois de droite, oui. Et en plus quand tu es l'inspiration du Iron Man des films Marvel, c'est-à-dire un type qui a techniquement pleiiiin de choses à se reprocher. Mais qui reste en vie et que tout le monde aime parce que c'est milliardaire rigolo du coup ça passe quoi. Comme Musk. Je déteste vraiment ce type, en plus il n'a vraiment rien compris (ou alors fait exprès de ne rien comprendre) le Capital et raconte des conneries sur Twitter. Et puis sa vision des grandeurs avec Mars quoi...
Je me suis trop perdue dans ma diatribe contre cet abruti et je n'ai pas répondu à Nausicaa. Du coup je continue dans ma haine contre Musk et les bourges je suppose ? Et si elle n'aime pas ? Alors je le dis avec un ton un peu sarcastique ?
"En vrai, je pense que ce mariole n'a pas besoin d'adolescents pour causer la fin du monde, lui et ses potes bourgeois se débrouillent déjà très bien comme cela."
Que devrais-je ajouter ? Est-ce que je dois continuer sur cette voie étant-donné que Nausicaa m'a tendue une perche et qu'elle a répondu de façon très appropriée à ce que j'ai dit ? De toute façon c'était trop tard, je l'avais déjà fait. J'ajoute après avoir tracé des cercles dans ma purée (qui commence à être tiède d'ailleurs, il faut peut-être que je me décide à la manger au lieu de parler du patron de Tesla et des capitalistes) :
"Oh, et puis de toute façon. c'est sûr et certain qu'ils sont déjà au courant pour nous. Et qu'ils ont déjà des idées en tête. Je marquai une légère pause, et avec un sourire navré je dis simplement : Ce qui est vraiment triste."
Ça va, franchement. C'est juste légèrement conspi, et que je sache pertinemment ou non que ce fait est vrai n'en dit rien sur mon passé. Et puis de toute façon sans être moi, c'est vraiment devinable ce genre de choses quoi. C'en est même évident... Je reviens sur mes mots et j'ai l'impression que j'ai été un peu trop crue avec Nausicaa, non ? Il faut que je rattrape ça.
"Désolée, si j'ai l'air un peu... Je fais un geste avec ma main pour essayer de lui faire comprendre. Est-ce que c'est compréhensible déjà ?? Je suis juste un peu lasse et désabusée par tout ça."

Bon, au moins, mon accident semblait amuser Morgan, qui passait manifestement beaucoup de temps perdue dans ses pensées ; elle ne me répondit pas immédiatement. Je m’interrogeais malgré tout sur ce qui pouvait bien lui passer par la tête. Cette jolie petite tête. Parce que ouais, je sais pas si je l’avais dit maintenant que je la voyais mieux que lorsqu’on était chacune à un bout de notre chambre mais Morgan est super jolie. Et c’est pas le moment de partir dans ma panique de meuf bie qui aime beaucoup trop les meufs putain clairement mais argh je vais finir par crush sur elle, bravo Nausicaa franchement.
Je me rendis finalement compte que j’étais peut-être un peu trop en train de la mater et détournai le regard, espérant ne pas me mettre à rougir parce que clairement ça augmenterait la gêne beaucoup trop. Elle finit par répondre, avec quelques phrases loin d’être remplies d’espoir pour l’avenir de notre planète. J’aurais bien aimé pouvoir lui dire de positiver, lui dire que non, l’humanité n’est pas condamnée à être détruite par le capitalisme, et que nous, enfants bizarres avec des pouvoirs, pouvions espérer ne pas participer à leurs mauvais projets, ou je ne sais quoi d’autre. Mais quelque part, ouais, moi aussi, j’étais un peu désabusée. Je faisais de mon mieux pour ne pas laisser tomber malgré tout, mais avoir de l’espoir ? C’était clairement hors de mes compétences.
« T’inquiète, je comprends. On vit dans une société pourrie jusqu’à la moelle et franchement j’ai du mal à imaginer qu’on puisse l’améliorer d’une manière ou d’une autre. Je veux pas abandonner mais j’y crois à peine. »
Je n’étais pas beaucoup plus réjouissante que Morgan, clairement. Les jeunes, de nos jours, hein. On sait qu’on va se retrouver dans un monde ruiné par nos parents et grands-parents, dans des vies qu’on n’a jamais voulues, tout ça pour entretenir un système qu’on hait. Ajoutez à cela être une meuf, être lgbt – pour moi en tout cas -, Morgan était racisée… On aurait des vies de merde, nous deux, clairement.
« Après ouais, ils doivent bien savoir qu’on existe, mais surtout, dans quelle mesure ? Est-ce qu’ils ont une idée moins vague que nous de notre nombre, de l’origine de nos pouvoirs, de je ne sais pas quoi ? Et si University était en réalité un projet qui faisait croire être plein de bonnes intentions mais en réalité un truc pour se servir de nous ? Imagine, le principal est manipulé par Elon Musk. Ça serait triste, il avait l’air cool. Mais bon, les déceptions arrivent… »
Théorie du complot à la con. Bon, même pas théorie du complot tier, juste une idée stupide lancée au hasard parce que pourquoi pas. Ça serait possible, quelque part. C’était suspect, comme projet. Regrouper des enfants et adolescents, dont beaucoup étaient fragiles psychologiquement – ça serait à vérifier, mais les personnes prêtes à partir à l’autre bout du monde dans une école inconnue n’étaient pas ceux qui vivaient leur meilleure vie avec une famille aimante et plein d’ami.e.s, donc c’était concevable –, qui possèdent tous, ou à peu de choses près, des pouvoirs, dans un lieu plutôt isolé, le tout avec très peu de frais pour les élèves donc les personnes à l’origine du projet avaient une quantité d’argent non négligeable et soit étaient de bonnes âmes charitables, soit en tiraient d’autres bénéfices… Je n’aimais pas cette idée, je voulais croire que je ne m’étais pas jetée dans la gueule du loup ou quoi, mais je devais me rendre à l’évidence, mon idée à la con était tout à fait crédible, pour le meilleur et pour le pire.

C'est vraiment triste que ma première conversation avec quelqu'un ici porte sur des sujets aussi pessimistes. Et tout ça de ma faute, après tout c'est moi qui ai emmené le sujet dans cette voie-là. Nausicaa doit tellement m'en vouloir et me reprocher... au lieu de parler de choses normales on parle de capitalisme et de fin du monde. Ce genre de choses, je crois qu'on le fait quand on se connaît bien, pas trente minutes après avoir rencontré quelqu'un. Nausicaa rajoute qu'elle est légèrement sceptique vis-à-vis du projet University. Et c'est normal, qui ne l'est pas ? Enfin j'espère qu'il y a des gens qui sont sur leurs gardes dans cette école, sinon je les plains grandement...
Par réflexe, je jette un coup d'œil autour de moi, pour voir s'il n'y aurait pas une caméra de surveillance dans un recoin de la salle. Apparemment non, mais cela ne m'empêche pas d'être prudente. Pour moi mais aussi pour Nausicaa - j'ai moyennement envie qu'elle se fasse choper à cause de mes bêtises. Je me dis que je devrais essayer de lui faire comprendre que parler théorie du complot plus que probable dans un endroit non sûr n'était sans doute pas très intelligent. Et note perso : aller fouiller un peu plus loin ce soir sur ces affaires-là ; j'avais déjà commencé mais je n'avais guère avancé car j'étais plus occupée par la rentrée qu'à mes investigations.
Je hausse les épaules, et je dis simplement avec un petit sourire et en bonne anarchiste qui se respecte : Oh tu sais, il faut toujours se méfier de la hiérarchie. Surtout s'il y a Elon Musk derrière, continuai-je mentalement, ne trouvant pas de réel intérêt à rajouter cela à voix haute, sinon ce type allait devenir une obsession. Je suis déjà en train de m'imaginer que le seul sujet de conversation que j'ai avec elle soit ce mec. Genre, quand on se salue on se demande des nouvelles de nous mais surtout de lui. F l i p p a n t.
... Et je ne savais plus quoi dire. Est-ce que je devais continuer sur des questions plus banales ? Cette conversation avait commencé comme une plus banale dans le contexte d'une école de magie, en fait. Mais je devais dire quoi alors ? On parle de quoi quand on rencontre quelqu'un ?Je ne peux même pas lui parler des cours, ils n'ont pas encore commencé. Je restai donc muette en attendant que je ne sois pas trop gênante à ses yeux et qu'elle veuille bien me parler.

Morgan me lança avec un ton plein de sous-entendus qu’il « fallait se méfier de la hiérarchie ». Se méfier au cas-où nous soyons effectivement surveillé.e.s, hein ? Ça faisait sens. Si vraiment c’était un plan d’Elon Musk ou d’un mec du genre, il n’apprécierait probablement pas qu’on montre publiquement qu’on savait ce qu’il se passait. Et puis peut-être que c’était aussi une manière polie de la part de Morgan de faire passer la discussion à autre chose. C’est vrai que discuter de ce genre de choses était peu réjouissant, tout ça, et peut-être qu’il serait mieux d’abandonner le sujet au bout d’un moment.
Quoi qu’il en était, Morgan ne paraissait pas vouloir relancer la discussion, du moins pas elle-même. Voulait-elle que je sois celle qui commence à parler ou cherchait-elle du silence ? Profitant au moins du blanc pour manger quelques bouchées – la nourriture commençait à refroidir, ce qui ne jouait pas vraiment en la faveur de mon faible appétit –, je tentai de déterminer de quoi parler ensuite. Le sujet de University était compliqué, on avait déjà fait les théories du complot qui y étaient liées et nous n’en savions pas encore assez pour parler du reste. Nous avions parlé de nos pouvoirs et c’était manifestement un sujet que Morgan ne souhaitait pas aborder. Pas dans l’immédiat du moins. C’était probablement le moment de poser les questions banales mais qui apportaient tout de même nombre de renseignements.
- Du coup, t’aimes quoi comme trucs ? Genre, t’écoutes quoi comme musique ?
Oui, c’était vraiment vide comme question, mais j’étais en train de manger de la bouffe froide et donc pas ouf et j’étais stressée comme je le répète depuis le début. C’était ce que vous pouviez espérer de mieux et il va falloir faire avec.

Heureusement pour moi Nausicaa a compris que cela devait être elle qui devait relancer la conversation et tant mieux. Elle me demande donc ce que j'écoute. La musique... Oulà... Comment dire... Est-ce que j'ai déjà écouté de la musique de ma vie ? Est-ce que le concept de musique existe ?? Je ne sais plus ??? J'ai des trucs qui me viennent en tête, genre des conneries sur une playlist YouTube d'eurobeat ou de musique électro random mais... cela ne le fait tellement pas de sortir "ah oui j'écoute de l'eurobeat ^^" à quelqu'un-e qu'on ne connaît pas. Ça brise toute la crédibilité qu'on peut avoir et ça me fait passer pour une grosse nerd sans goût ; ce qui est vrai en réalité, mais je n'aime pas savoir cette vérité.
Mais il faut que je lui réponde quelque chose. Quelque chose d'intelligent, de pas trop vague, et surtout ne pas répondre le classique "de tout sauf du rap" ou "le métal c'est trop cool" (non). Je me vois mal dire que j'écoute de l'électro sans lui donner d'exemple, sinon les gens ont tendance à s'imaginer des choses d'elleux-mêmes et c'est souvent des mauvais exemple qui leur viennent en tête (ceci dit, vu le genre musical, on ne peut pas trop leur en vouloir).
Pendant que je suis en train de réfléchir à des exemples concrets, je mange un peu ce que j'ai en face de moi, sans vraiment prêter attention au goût ; et pour moi manger c'est souvent plus une torture pour moi qu'un réel plaisir. Et il faut que je fasse attention à ne pas laisser un blanc trop long sinon cela risque d'être gênant pour nous deux. Je formule ma phrase préalablement dans ma tête avant de lui répondre :
Eh bien, j'ai pas des goûts géniaux musicalement parlant... De la musique électro, genre Justice je sais pas si tu vois ce que c'est ? Sinon un peu de musique classique, parfois en bruit de fond. Et toi ?